Portrait de Roger Erivan
Le parcours du Dr Roger Erivan
Roger Erivan est chirurgien orthopédiste. Il opère aussi bien les os, les tendons que les ligaments ou les ménisques. Spécialisé dans la chirurgie de reconstruction, notamment avec des pertes de substance osseuses, ligamentaires ou méniscales, il exerce au Centre Hospitalier Universitaire de Clermont-Ferrand (63) où il a réalisé ses études et découvert la discipline. Devenu chirurgien, il a ensuite pu voyager et apprendre encore davantage sur les techniques de greffes de l’appareil locomoteur. Au fil des années, il a été confronté à des situations assez complexes avec de nombreuses fractures et lésions multiples.
Progressivement, il est devenu référent de ce type d’interventions. Désormais, ces cas représentent entre un tiers et la moitié de son activité. C’est aussi ce qui l’a amené à vouloir aller plus loin, animé par une forte volonté d’accompagnement et de soutien, et porté par une démarche ancrée d’humanisme. Souvent sollicité par d’autres chirurgiens, il est mobilisé pour essayer de reconstruire et intervient dans des parcours de santé longs, voire après des opérations qui ont échoué par le passé, dans le but d’améliorer le quotidien des patients.
L’osteobanque devenue référence
« J’ai la chance d’exercer au sein d’un centre de référence pour les greffes de ce type et d’œuvrer pour le développement d’Ostéobanque, en parallèle. Des patients nous sont adressés depuis toute la France. La majorité vient de bien plus loin que Clermont Ferrand ».
La multiplicité de ces cas est un aspect très stimulant pour lui : « Ce sont des cas très difficiles, qui adressés par d’autres centres, ils nous amènent à pousser plus loin notre réflexion et confronter nos idées, avec humilité. Cela nous impose aussi une spécialisation et une amélioration continue. Nous œuvrons pour faire évoluer positivement le vécu du patient et, plus généralement, le suivi médical apporté » exprime-t-il.
Sur le territoire assez enclavé (et parfois décrié ) de Clermont-Ferrand, Ostéobanque et le CHU de Clermont-Ferrand ont développé, collégialement, une expertise exceptionnelle. Aujourd’hui, le centre draine une population allant bien au-delà du bassin clermontois, en particulier pour les patients qui ont beaucoup de pathologies à traiter. Au début des années 2000, ces greffes étaient peu développées en France. Elles représentaient entre 10 et 40 cas par an. On dénombre désormais environ 500 cas annuels.
L’expertise du Dr Erivan, reconnue dans la greffe de tissus
Malgré une standardisation de la pratique, le grand public n’en a pas encore une véritable connaissance. C’est encore plus vrai pour la diversité des opérations pratiquées à Clermont-Ferrand. Roger Erivan revient sur cette méconnaissance : « La plupart du temps, en entendant « greffe », on a tendance à penser directement aux organes vitaux, tels que les reins, le cœur, les poumons… Les greffes musculosquelettiques de tendon, de ménisque, de ligament et d’os massif sont beaucoup moins connues ». Cela s’explique certainement par le nombre d’interventions encore faible et l’aspect innovant. C’est une technique relativement nouvelle, en pleine expansion. D’autre part, le public comprend moins la finalité. Le chirurgien l’illustre via un cas concret : « J’ai l’exemple d’un patient avec une greffe de fémur. Il ne pouvait plus marcher et serait resté en fauteuil roulant toute sa vie s’il n’avait pas bénéficié de cette opération. Nous arrivons aujourd’hui à améliorer de façon importante la vie des patients, que ce soit sur le plan fonctionnel, sur le plan moral, ou encore sur le plan physique. Notre rôle est donc, en parallèle, de sensibiliser le grand public. Nous devons les informer que le don peut changer le quotidien d’un autre être humain de façon significative ! ».
Cas particuliers
Au CHU de Clermont Ferrand, les patients du service d’orthopédie ont déjà eu deux, trois, parfois cinq opérations dans d’autres centres, toutes soldées par des échecs ; opérations suivies forcément de douleur tout autant que de déception. Cette souffrance a marqué le Docteur Erivan, se remémore ces parcours de vie avec émotion : « Par exemple, ce jeune de 15 ans, qui a eu un accident de la route. Il a été heurté par une voiture. Son côté droit était complètement arraché. En l’occurrence, ce jeune homme a subi 9 opérations au niveau du fémur ! C’est un cas particulier car l’os est très vascularisé, et saigne beaucoup lors de traumatismes. Etant donné le nombre d’interventions et l’infection dont il souffrait, il n’était plus envisageable d’opérer sans enlever beaucoup de matière au niveau de l’os.
Il nous aurait fallu retirer 12 cm pour envisager la consolidation, soit une énorme plaie et un manque d’os important. Pour mieux visualiser le formidable apport d’une greffe de tissus, il faut voir cela comme un nid d’abeilles que l’on insère dans les chairs. Ensuite, le patient lui-même va apporter ses cellules et produire le miel nécessaire à la consolidation de celui-ci. Cela va vraiment servir d’échafaudage pour la reconstruction future. Suite à la greffe massive, ce jeune, cinq ans après, a recouvré sa mobilité perdue. Nous lui avons offert la possibilité de marcher et de retrouver une vie à 23 ans, avec des interactions sociales. Maintenant, même s’il ne va pas faire un marathon, il peut travailler ; il est plus proche de la vie qu’il aurait dû avoir, sans l’accident ».
Les greffes de ménisques
Pour les autres greffes réalisées, de ménisques par exemple, le tissu est retiré lorsqu’il est marqué par des lésions non réparables, notamment chez les patients jeunes. Le ménisque joue le rôle d’un « amortisseur » dans le genou et dans certaines situations. Il sera possible, s’il n’y a pas trop d’arthrose, de le remplacer grâce à une greffe. Les ligaments font également partie des opérations les plus courantes, dans 80 à 90 % des cas au niveau du genou. C’est une solution pour palier à une luxation du genou par exemple, ou encore pour des patients avec de trop nombreux ligaments abîmés. Auparavant, il fallait prélever sur l’autre genou, qui donc était sain. Les chirurgiens devaient alors détériorer le patient. Maintenant, d’autres options sont possibles : avec la greffe, on peut créer moins de lésions sur le patient et surtout réparer plus de choses.
La greffe permet aussi un confort supplémentaire pour les patients. Contrairement à une prothèse, il n’y a pas de métal. Les implants métalliques peuvent, avec le temps, créer des descellements (usure de l’os, voire une fracture). Ce n’est pas le cas avec la greffe quand elle s’est intégrée. Le greffon est intégré comme partie prenante et non comme un corps étranger.
« Quand je fais des interventions, notamment lourdes, j’écoute de la musique. Cela crée une bulle au bloc opératoire, ça me permet de me concentrer ».
Roger Erivan aborde le manque de donneurs
Le problème majeur en France, pour la progression du nombre de greffes de tissus de l’appareil locomoteur, réside dans le manque de greffons. « Nous avons un grand retard sur ce point par rapport aux autres pays. En Espagne, où j’ai beaucoup travaillé dans la région de Barcelone, auprès de la banque de tissu de référence en Europe, ils arrivent à prélever 40 fois plus de tissus qu’en France….. et pourtant ils en manquent encore ! C’est pourquoi nous essayons d’interpeler et de développer le don, au sein de notre association de chirurgiens, pour promouvoir les prélèvements de tissus. Nous devons dire au public que c’est possible, qu’il ne faut pas en avoir peur et qu’il ne faut pas se dire : de toute façon c’est quelque chose qui ne sert à rien parce que, justement, ça sert ! » insiste t’il avec conviction.
Actuellement, sur les greffes réalisées en France, nous importons plus de la moitié des greffes d’autres pays parce que nous sommes en manque. Le public sait que l’on peut donner un rein, un cœur et d’autres organes car cela a été très médiatisé. En revanche, faire don d’os, de tendons, est plus compliqué à visualiser. Il faut bien comprendre que ce sont les mêmes patients qui sont éligibles au don. Lors d’un accident, il faut agir très vite pour prélever les organes vitaux, car la liste de patients en demande est longue. Il faut ensuite implanter rapidement. Ce don peut sauver une vie. La temporalité pour les tissus est différente. Ils peuvent être prélevés, puis congelés et stockés en attente d’un besoin. Mais c’est exactement le même patient sur lequel, à la fin de la procédure, après avoir prélevé le cœur, le foie, les reins, on va pouvoir prélever les tissus. Il est donc fondamental d’informer et de sensibiliser.
Le don
Roger Erivan aborde l’aspect délicat des donneurs décédés : « Il faut en parler autour de soi car, quand un patient n’a pas fait état de son opposition de son vivant sur la liste des refus de don, la demande est faite auprès de la famille. La plupart du temps, ce n’est pas un sujet abordé dans les discussions familiales. Et pourtant, il faut en parler avec ses proches, car c’est vers eux que les médecins se retournent en finalité. Les équipes de coordination demanderont toujours un accord ». Elles accompagnent évidemment les proches en expliquant quels sont les dons possibles et sous quelles conditions. Mais ces situations peuvent être dramatiques, très violentes parfois, alors que c’est un moment clef. Recevoir cette demande est toujours compliqué.
Une étape douloureuse que les équipes formées aux prélèvements réalisent toujours avec empathie et bienveillance. Néanmoins, anticiper est toujours plus pertinent pour ce don si particulier. « Cela paraît difficile à concevoir de prélever un os massif sur un proche décédé » admet Roger Erivan. « Il faut savoir que les opérations sont toujours réalisées dans le plus grand respect du défunt. Un processus de reconstruction a été mis en place pour le donneur afin de garantir aux proches ses choix funéraires. La greffe est tout à fait compatible avec l’inhumation ou l’enterrement ». La reconstruction qui est pratiquée permet de conserver la dignité du disparu dans cette dernière étape, afin que ses proches puissent lui rendre les derniers hommages dans la dignité.
La greffe
Pour les patients ayant bénéficié d’une greffe, c’est une chance unique de retrouver mobilité, autonomie, indépendance et liberté. Des valeurs qui leur ont fait défaut pendant plusieurs mois, plusieurs années parfois. Ils auraient pu rester en fauteuil roulant pour le restant de leurs jours sans la greffe qui les a sauvés du désespoir. « Tous évoquent une reconnaissance infinie envers la science et notre équipe, mais, surtout, pour les familles des donneurs. Ils ont conscience de la beauté que représente le don d’un inconnu. Il leur est parfois difficile d’accepter qu’ils ne pourront jamais exprimer leur reconnaissance envers ceux qui ont accepté, pour eux-mêmes ou pour un proche » souligne le chirurgien.
Il s’agit d’une chirurgie assez spécifique : la technique de transmission d’un patient à l’autre est complexe et longue. Pour un prélèvement il faut compter environ 4 heures. Roger Erivan, au vu de sa pratique, est plutôt rapide. Un chirurgien moins habitué met en moyenne 5 à 6 heures. Ostéobanque a donc mis en place une équipe de prélèvement dédiée. Elle est la seule en France à réaliser ces interventions. L’équipe est composée de chirurgiens, spécialisés dans le prélèvement des tissus, la préparation et le conditionnement. En complément, une série de mesures est prise pour, proposer la greffe la plus adaptée aux patients receveurs. L’équipe se déplace dans un rayon de 200 à 250 km autour de Clermont-Ferrand pour pouvoir réaliser des prélèvements.
L’ostéobanque est un modèle
L’activité rencontre un fort succès et le Docteur Erivan est désormais sollicité pour des déplacements à l’échelle nationale. Outre son expertise dans ce domaine si spécifique, il inscrit désormais son action dans une phase de transmission accentuée en se rendant in situ pour des formations. Toulouse, Lille et Besançon sont d’ores et déjà dans cette démarche ; Rennes prélève sur le modèle de l’Osteobanque.
L’avenir
Les techniques sont en train d’évoluer. Il existe aujourd’hui des traitements pour essayer de rendre plus compatibles les greffons. L’un des enjeux sera de réduire les produits chimiques utilisés dans le cadre de la greffe. Ces substances, impliquées à différents stades du processus, peuvent entraîner une moins bonne intégration des greffes. Les recherches sur le sujet sont nombreuses pour trouver des alternatives. Les ressources humaines se structurent, avec plus de formation et d’accompagnement. Tout naturellement, Roger Erivan est formateur pour l’agence de la biomédecine. Tous les ans, il réalise des formations auprès de futurs chirurgiens préleveurs et des équipes de coordination des prélèvements.
Pour les greffes de tissus musculosquelettiques, la France n’est pas précurseur. Même si « nous partons de beaucoup plus loin que d’autres pays, dont les États-Unis qui réalisent 100 fois plus de greffes que nous » Roger Erivan salue la grande coopération internationale. « J’ai eu la chance de passer 5 mois au sein de la banque de tissus de Barcelone. Je les connais donc très bien. Nous avons beaucoup de projets de recherche communs, notamment des articles. Quand nous manquons de greffons, nous nous approvisionnons chez eux. Nous avons aussi des procédés en commun pour le traitement des greffes. Mais, nous récupérons notre retard et nous allons essayer de les égaler, voire même de les dépasser dans les années à venir vu que nous augmentons cette pratique de 15 à 20% chaque année ».
La vision de l’Ostéobanque
« L’Ostéobanque est auvergnate et, déjà, c’est une belle fierté ! ». C’est une Association de loi 1901, avec un modèle économique établi. La structure comprend 6 salariés. Ils coordonnent l’activité des centres de prélèvement, organisent les déplacements, gèrent les stocks, la logistique des commandes … Tout bénéfice réalisé par cette association est réinjecté dans la recherche. Roger Erivan explicite cet engagement : « C’est une forme de garantie vis-à-vis des patients car nous sommes tous bénévoles. Il existe environ 15 banques de tissus dédiées à l’appareil locomoteur en France. La majorité travaille au niveau local. De notre côté, grâce au soutien de la SOFCOT et de la Société Francophone d’Arthroscopie, nous essayons de centraliser pour diffuser dans toute la France. Le but n’est vraiment pas de rentabiliser des actionnaires mais d’essayer d’améliorer au maximum les choses et pouvoir réparer un maximum de patients. »
Depuis plusieurs années, on voit émerger des structures plus commerciales mais où l’éthique est différente. Certaines banques de tissus sont à but lucratif et essayent « d’en faire un business » pour rentabiliser leur activité. « Nous tenons à nos valeurs, à notre philosophie, au sens impulsé par les fondateurs de l’Ostéobanque. Ce n’est pas notre façon de voir les choses. Vu notre expertise et la part de greffes réalisées sur le territoire, nous sommes petit à petit devenus référents sur ce domaine, il faut maintenant faire perdurer nos actions » explique-t-il.
Vers le développement de la greffe de tissus
Roger Erivan exprime son ambition pour l’association : « Notre objectif est désormais de multiplier au maximum les prélèvements pour avoir un maximum de greffes disponibles. Lorsque la question m’est posée de savoir pourquoi nous sommes tous bénévoles, la première réponse qui me vient est que nous sommes dévoués pour les patients. S’y rajoute forcément de l’altruisme ou, plutôt, de l’humanisme. Mais, surtout, nous aimons notre métier. Et c’est encore plus encourageant quand on voit les résultats que l’on peut avoir. Certains ne nous croient pas à l’évocation de cas et des résultats obtenus. Pourtant, je peux témoigner de l’impact apporté dans la vie de nos patients et dans l’efficacité de ces techniques ».
Un souhait, Docteur ? Un message ?
« Mon souhait serait d’arrêter uniquement quand nous aurons traité tous les patients qui en ont besoin. Il faut en parler à vos proches ; déjà, juste ça, en parler. Cela va rendre le sujet plus facile à aborder quand le cas se présente. La greffe de tissus ne sauve peut-être pas une vie, mais c’est tout comme ; elle change le quotidien ! »
Retrouvez le portrait du Pr Stéphane Boisgard